The End of a Dream raconte avec beaucoup de nostalgie les deux périodes de la vie de l’auteure passées en France. Gael Elton Mayo, peintre et romancière née en 1923, s’installe dans le château fortifié de Frontenay, dans le Jura, propriété familiale de son époux, le Comte de Chamberet. Ils y vivent du milieu des années 1950 jusqu’en 1972. Elle retourne ensuite en Angleterre, son pays d’origine pendant 10 ans, avant de poursuivre à nouveau son rêve de France sur les contreforts du Ventoux. L’auteure y achète et restaure une Bastide dans un hameau provençal de quelques âmes.
Le Jura des années 1960
Le premier chapitre est dédié à la vie dans le Jura. Gael Elton Mayo raconte la France rurale d’après guerre, celle dans laquelle des marginaux, des braconniers, des hommes abimés par la guerre vivent encore dans les bois. La vie est âpre, rythmée par les saisons, les récoltes, les abattages d’animaux. L’électricité et l’eau courante ne sont pas encore arrivés dans ce village perché au bord du premier plateau de montagne. Le vent glacial, les bruits inquiétants et les légendes ancestrales peuplent le château médiéval.
L’auteure décrit la communauté villageoise qui l’entoure, et à laquelle elle peine à s’intégrer. Les Jurassiens apparaissent comme des gens libres, à l’esprit rebel et au franc parlé. Longtemps indépendants du pouvoir central, les Francs-Comtois nourrissent une aversion pour Paris et les citadins. L’auteure décrit avec amusement et dégoût les parties de chasse, les beuveries, les histoires du village, les exploits du curé haut en couleurs et les conflits familiaux.
Gael Elton Mayo a à coeur de décrire avec la minutie d’une anthropologue les moeurs et dispositions des Jurassiens. Ces terriens pratiques, réalistes et pudiques utilisent largement l’euphémisme pour cacher leurs sentiments.
« Quand Michel alla récupérer les moutons, il trouva Firmin assis dans un arbre. « Je suis en vacances », avait-il dit, et Michel avait rit, c’était une bonne blague ; le vieil homme semblait être guéri. Mais le jour suivant il était toujours là. « Laisse moi seul », avait-il dit à Michel quand celui-ci proposait de l’aider à descendre, « Je pars en voyage et j’y vais en avion. » Et c’est la façon dont il a pris congés… » » [définitif]
p.37
Michel et Suzanne, les gardiens du château, sont décrits avec beaucoup d’affection. On les voit astiquer le château, réparer, cultiver le potager, cuisiner… J’ai été émue par ces portraits car je les ai cotoyés, petite fille, à la fin des années 1980 alors qu’ils avaient pris leur retraite mais étaient restés vivre au château. Le café dans la cuisine de Suzanne, l’allée enneigée, le vent glacial qui s’engouffre sous le porche du château et la fenêtre de la cuisine qui donnait sur l’intérieur du pigeonnier…
En 1972, le Comte vend le château dont la restauration est trop coûteuse. C’est la fin de la première aventure française de l’auteure.
La Provence verte des années 1980
Gael Elton Mayo décide d’acheter une bastide provençale traditionnelle au début des années 1980. Elle entreprend de la rénover, la mode du formica étant passée par là. Elle décrit le hameau, ses deux familles ennemies, la récolte des olives, les jeunes qui partent travailler en ville, les mesquineries et rancoeurs ancestrales et les conflits terriens.
Ici encore, on sent la nostalgie d’un monde qui meurt, l’oubli des savoirs agricoles, l’abandon des fermes, la campagne qui devient un lieu de villégiature pour citadins. On croise quelques anciens qui taillent les oliviers, font leur miel et tuent encore le cochon. On sent les résistances de ce monde aux abois, qui jusque là, pouvait vivre en autonomie, et selon des rythmes séculaires.
« L’instint de Bailleul à propos de la nourriture était assez fort, même s’il m’a dit qu’il n’avait jamais regardé de programme télévisé, ou de débat sur la viande aux hormones, et les aliments irradiés… Le supermaché à Malaucène (…) ressemble plus à une épicerie vendant des produits sains qu’à un supermarché normal, mais malgré cela, et sans connaissance ou raison apparentes, il secouait sa tête et riait, « Tu ne sais pas ce que tu achètes ! » il disait « je mange uniquement mes propres produits ! » »
p.79
J’ai beaucoup apprécié les passages illustrant ce qui est parfois baptisé de façon condescendante « le bon sens paysan » :
« Le vieux Faraud (…) était un homme inoffensif, plutôt simple philosophe. « Si on ne meurt pas Jeanne, on vit vieux« , disait-il, en ajustant son sonotone, et comme pour expliquer son incapacité, comme si cette évidence recelait une vérité plus profonde. »
p.80
La fin d’un rêve
En s’installant en Provence avec sa fille, Gael Elton Mayo rêve d’une vie paisible à la campagne dans laquelle elle pourrait poursuivre sa carrière de d’artiste. Elle rêve d’après-midi à l’ombre sous la glycine de la terrasse, bercée par l’odeur de la garrigue et le vent frais.
« La paix était revenue. J’ai remarqué cette qualité à chaque fois que nous avons vécu là : un profond sentiment de sérénité et de permanence. Dans les premières lueurs de l’aube, ou lorsque le croissant de lune repose au dessus des collines sombres derrière Beaumont, dans le silence complet des après-midi d’été à l’heure de la sieste, quand toute la campagne semble morte – l’Europe semble trainer là, ancienne, sans âge et pour toujours. »
p.83
Dès son installation, l’auteure se rend compte que la vendeuse de la bastide ne lui a pas cédé tout le terrain disponible, et que celui-ci pourrait devenir constructible et, ce-faisant, ruiner la vue de la bastide. Cette mesquinerie la pousse à faire le deuil de son rêve de Provence. Gael Elton Mayo vend sa maison. La fin d’un rêve.
J’ai beaucoup aimé ce livre, surtout parce qu’il me parle de mes deux régions d’origine, la Provence et le Jura. L’intérêt de ce récit est avant tout un témoignage de première main à propos des société rurales depuis lors disparues. L’ouverture et la dépendance vis-à-vis des villes a entrainé une dilution du lien social et l’oubli des savoirs locaux.
Revoir « les Michel », les découvrir plus jeunes m’a rappelé à quel point je suis attachée à cette terre et au caractère jurassien, si âpre soit-il. J’ai aimé retrouver les bons mots et expressions locales, les histoires intemporelles et transposables à n’importe quel autre village de France.
Je conseille ce témoignage très personnel et émouvant aux amoureux de la France régionale et aux nostalgiques de la vie de village.
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Pour compléter cette lecture, je vous propose de lire Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (2017). Son analyse ressitue à l’échelle du territoire français, ce que Gael Elton Mayo a observé : la fin des communatés agraires et la transformation des campagnes en périphéries de villes.
Découvrez la chronique de Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson en cliquant ici !
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