Sur les chemins noirs : cette adaptation parvient-elle à retranscrire la pensée foisonnante et poétique de Sylvain Tesson ?
Le film de Denis Imbert, sorti en début d’année, est l’adaptation du livre éponyme écrit par Sylvain Tesson (Gallimard, 2016). Suite à une chute de 8 mètres de haut, Pierre se retrouve paralysé. Son crâne, sa colonne, des membres sont brisés. Ce solitaire épris de liberté et de grands espaces entame alors sa convalescence. La reconquête de la maîtrise de son corps est un long chemin qu’il décide de poursuivre au grand air. A peine sur pieds, il entame une traversée de la France en marchant, par les sentiers ruraux. Matérialisés en noir sur les cartes IGN, ces chemins désuets révèlent un portrait de la France oubliée, et ressuscitent Tesson à lui-même.
Une interprétation magistrale
Le personnage de Sylvain Tesson, prénommé Pierre dans le film, est incarné par Jean Dujardin. Celui-ci offre une fois encore une magistrale interprétation, imitant à merveille le phrasé, mais surtout la démarche de Tesson, reconnaissables entre mille. Jean Dujardin parvient à conserver cette démarche si caractéristique et à la faire évoluer au fur et à mesure du voyage, alors que Pierre retrouve de la mobilité et l’équilibre.
J’ai particulièrement apprécié de retrouver des passages du livre assez nombreux. La sélection n’est pas systématiquement celle que j’aurai opérée, mais l’on y retrouve quelques bons mots de Tesson :
« Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie. »
le 26 Août, Sortir du Mercantour
Il faut dire que ce récit m’a particulièrement plu. Vous pouvez retrouver plus de détails dans ma chronique du mois de mars en suivant ce lien.
La pensée de Tesson mise en images
Dans ce livre, Tesson livre ses observations de la nature en des mots très poétiques. Ces passages ne sont pas retranscrits dans le film. Pierre passe certes de longs moments à admirer la nature, mais les plus belles descriptions auraient également mérité d’être introduites en voix off.
Sylvain Tesson développe de façon extensive plusieurs thèmes lors de ce voyage : la résilience de la convalescence, cohabiter avec un corps diminué, et la célébration de la France rurale, teintée d’une pointe de passéisme.
Chacun de ses thèmes est abordé dans le film, notamment à travers les paroles de Pierre qui écrit chaque jour dans son carnet de voyage :
« Le sentiment de ne plus habiter ce vaisseau terrestre avec la même grâce provenait d’une trépidation générale fondée sur l’accroissement. Il y avait eu trop de tout, soudain. Trop de production, trop de mouvement, trop d’énergies.
Le 30 septembre, à travers l’Artense
Dans un cerveau, cela provoquait l’épilepsie.
Dans l’Histoire, cela s’appelait la massification.
Dans une société, cela menait à la crise. »
Les passages sur la place de la ruralité et de l’homme dans la société libérale sont bien développés dans le film. Pour ma part, c’est la réflexion sur la réappropriation du corps meurtri et diminué qui m’a particulièrement intéressée.
« Quel intérêt de hisser ce corps en loques au nord d’un pays en ruine ? »
Le 26 septembre, sortir du Mercantour
Cet aspect est un peu laissé de côté à mon sens. Le film peine à présenter la réflexion riche de Tesson sur ce thème autrement que par les manifestations physiques de sa convalescence (chutes, malaises, …)
« Voilà longtemps que je ne m’étais pas trouvé exactement tel que je le désirais : en mouvement. Je jouissais de me tenir debout dans la campagne et d’avancer sur ces chemins choisis. Noirs, lumineux, éclaircis. C’était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : Je suis bien là, où je me dois d’être. C’était la question cruciale de la vie. La plus simple et la plus négligée. »
Le 20 septembre, vers le Gévaudan
Une adaptation astucieuse
Malgré le manque d’action dans ce récit, Denis Imbert réussit à insuffler une dynamique au film grâce à des allers-retours permanents entre la marche et la vie d’avant. En effet, en créant ces parallèles, le réalisateur évite une démarche chronologique qui aurait probablement été ennuyeuse à l’écran. Il introduit ainsi une démarche plus thématique sur la liberté, le risque, la résilience.
Autre astuce intéressante, faire prononcer à Pierre les phrases qu’il couche dans son carnet. Celui-ci les marmonne, puis les répète à voix haute, tel Flaubert cherchant la sonorité parfaite des phrases. Cela permet donc d’introduire de nombreux beaux passages d’écriture et de conserver l’intérêt littéraire.
Vous l’aurez compris, j’appréhendais la façon dont Denis Imbert adapterait la prose de Tesson que j’aime tant. Dans l’ensemble, je trouve le film réussi. Il n’était pas aisé de rythmer cette épopée pour capter l’attention du public.
Il manque cependant les mots d’humour ironique, voire cynique, que Tesson affectionne.
« Certains avaient milité pour la disparition des crèches de Noël dans les espaces publics. Ces esprits forts me fascinaient. Savaient-ils que les croix coiffaient des centaines de sommets en France, que des calvaires cloutaient des milliers de carrefours ? »
Le 25 septembre, la Palnèze
Enfin, le récit se déroule au milieu de paysages somptueux que l’on ne soupçonne pas en France. Il permet de redécouvrir la France autrement.
(Re) lisez ma chronique du livre Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson ici.
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