Un roman d’aventures fantastiquement documenté et plein de rebondissements !
Attirée par la magnifique couverture, je me suis lancée dans ce pavé avec enthousiasme car la qualité de l’écriture se remarque dès les premières pages.
« Depuis des mois, les cultures meurent, rongées par le mildiou. Avec un inexorable appétit, la Grande Faucheuse se rassasie des âmes de ceux qui n’ont plus rien à manger. Sous les toits des fermes, pour parachever la volonté de Dieu, la dysenterie, le choléra et le typhus puent et emportent les vieux et les plus faibles . Toutes les familles sont en deuil. D’un père, d’une mère, d’un enfant. Aujourd’hui, ne restent debout que des affamés. Une tribu d’êtres décharnés, obnubilés par un dernier rêve : quitter cette île de misère et de tombes ouvertes au ciel. Pluie et malédictions s’abattent sur eux. Ventre vide et regard fou, ils n’ont presque rien à se mettre sous la dent. Leurs mains noires de tourbe ne cultivent même plus le maigre espoir de vivre. Elles ne sont utiles qu’à lâcher les cordes qui claquent sur les cercueils. Les visages râpeux de barbe n’expriment qu’une résignation hagarde, une incompréhension dénuée de compassion. Leur seul pain quotidien, pour eux, c’est la mort. »
(p.8)
La famine sévit en Irlande et pousse de plus en plus de paysans à tenter leur chance dans le Nouveau Monde. Martin et Kate, jeunes gens qui se connaissent à peine, voient leurs destins liés et sont obligés d’embarquer clandestinement sur un des vaisseaux appareillant pour Québec afin de se sauver d’une mort certaine.
Ils entamment un périple qu’ils espèrent les mener dans l’Outaouais, province sauvage des forêts canadiennes. Ils sont naïfs et plein d’espoirs. Pourtant personne n’a jamais reçu de nouvelles des milliers de migrants ayant embarqué avant eux…
Le décor est magnifiquement planté, qu’il s’agisse de décrire la vie de misère lors de la famine irlandaise (1845-1852), les luttes de pouvoir des notables locaux, le joug anglais, ou les paysages forestiers du Canada en hiver.
La sociologie des migrants, la vie sur les bateaux, l’arrivée dans les lazarets ainsi que le travail de bucheronnage sont décrits avec beaucoup de détails. Le livre contient une profusion de descriptions très précises et bien à propos, sans aucun doute glanés lors de recherches historiques très approfondies. Les auteurs ont su donner vie à cette foule de détails.
« De temps à autre, un cadavre enveloppé dans un drap crasseux bascule par-dessus la lisse, mais les pleurs de ceux qui le perdent sont couverts par les claquements des filins dans la mâture. Pas de prière. Pas de derniers sacrements. Simplement le bruit d’un corps qui plonge dans le Saint-Laurent. Le fleuve s’amuse à le déshabiller de son suaire de fortune puis, poussé par le courant, le mort en haillons disparait derrière la poupe de la goélette où Dieu a soufflé la bougie de sa vie. »
(p.133)
En effet, les objets, dialogue sont très réalistes, les personnages incarnés grâce à la description de leurs sentiments complexes – souvent la colère ou la peur- et de leur histoire personnelle et familiale.
Enfers ou Paradis, le Canada des draves et des coureurs des bois
Les personnages principaux traversent des espaces vierges magnifiquement décrits. La narration très visuelle permet de restituer toute la beauté de l’Outaouais. Les forêts, montagnes et rivières cartographiées par les coureurs des bois laissent rêveur. Leur puissance et leur étendue impressionnent et insufflent un sentiment de liberté. Cet écrin magnétique et dangereux offre un superbe écrin à l’aventure du jeune et futé Martin.
« Le soleil décline à l’ouest de la rivière Gatineau et allonge les ombres des baraques Maniwaki. Après un dernier tour de piste, l’astre se dérobe derrière la muraille de la forêt à flanc de côteau, ourlant de franges orangées les cimes des pins et des épicéas. La fraîcheur subite, poussée par une brise de noroît, brasse les odeurs des bêtes, de la paille et de la résine. »
(p.297)
L’intrigue, construite en parallèle entre le Canada et l’Irlande, est profondément ancrée dans des histoires familiales ennemies. L’alternance des chapitres entre les continents et des temporalités différentes permet de maintenir le suspens. Le lecteur est captivé par la fuite en avant et l’affrontement final que l’on attend depuis le début du livre. L’ensemble donne un livre très réussi qui restranscrit bien l’ambiance d’espoir et l’implacable cruauté de la conquête de ce Nouveau Monde.
La question indienne est évoquée du point de vue québécois. En effet, les autochtones sont perçus comme un danger mortel pour les forestiers qui réalisent les campagnes de coupes de bois. Leurs attaques sont redoutées par ces conquérants du territoire.
Le magnifique et très sensible livre Kukum de Michel Jean offre le regard opposé sur cette période de conquête du territoire et les campagnes de draves. L’auteur raconte l’histoire de ses ancêtres Innus face à la destruction de leur milieu suite à la déforestation massive.
Vous pouvez en lire la chronique de ce coup de coeur à Kukum ici !
Le duo d’écrivains Page Comann signe ici une intrigue magistrale qui entraine le lecteur dans une course effrénée et semée de cadavres vers la liberté et l’amour.
Vous l’aurez compris, j’ai dévoré et adoré ce roman bien construit et aux multiples rebondissements.
Retrouvez les autres coups de coeurs de 2024 ici.
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