Un joli conte autour de la solidarité
La mélodie familière de la boutique de Sung se déroule sur deux générations dans le quartier berlinois de Prenzlauer Berg. Sung, berlinois d’origine vietnamienne tient une épicerie-trouve-tout ouverte du matin au soir. Centre de la vie de quartier, elle a été créée par ses parents après la réunification (1989). Lorsque la maitresse demande à son fils Minh d’apporter à l’école un objet culturel de son pays d’origine, la mère de Sung fait revivre sa marionnette vietnamienne et ses souvenirs d’enfance… Cette étincelle ravive la vie de quartier, insufflant un nouveau sens à la communauté. Des initiatives culturelles fleurissent dans une bonne humeur contagieuse.
L’idéalisme forcené de ce roman est pondéré par le récit du parcours d’une famille de travailleurs immigrés du Vietnam communiste vers la RDA. On suit Hiên, jeune femme vulnérable venue avec sa marionnette de bois pour seul souvenir de son pays, lors de ses années de service en usine puis après la chute du mur de Berlin. Le destin de cette famille modeste qui acquiert un commerce et s’installe durablement en Allemagne réunifiée est très intéressant.
J’ai regretté à plusieurs reprises des sitations irréalistes. En effet, pour servir la démonstration autour de la solidarité, l’auteur privilégie dans la narration un idéalisme dans lequel la somme des actions et volontés des individus conduit à une harmonie dans le quartier. L’idée est belle, et illustre parfaitement les notions de solidarité et d’humanisme.
Ainsi, les événements s’enchainent « naturellement » à partir de la démonstration de marionnette. Les dames se mettent à porter l’ao dai (tenue traditionnelle vietnamienne), les promeneurs le chapeau conique, et les habitants du quartier se prennent de passion pour l’apprentissage du vietnamien ! Sous cet optimisme contagieux, la trame narrative est – à dessein- très naïve. Trop naïve pour être crédible.
La mélodie familière de la boutique de Sung, une page d’Histoire locale
Par ailleurs, la langue, traduite de l’allemand au francais, est belle. Les phrases sont riches et travaillées, les images poétiques.
« Tout comme celle de Sung, ces boutiques jouaient à la fois le rôle d’entreprise familiale, d’inventaire, de café du commerce, de dépôt de colis et de dernière chance pour les pannes de levure, de valves, d’ampoules ou de cartes de voeux en fin de journée. »
(p.73)
L’histoire familiale qui s’entremêle avec la « grande Histoire » de l’Allemagne est prenante. La grand-mère est un personnage attachant. Discrète et résiliente, elle rayonne de force et de sagesse. La comparaison de l’Allemagne et du Vietnam, deux pays séparés entre communisme et libéralisme, puis réunifiés est intéressante. Il semble qu’en Allemagne l’avènement du libéralisme est apporté la prospérité mais aussi la dislocation des liens sociaux et culturels.
« Il fut scolarisé avec l’allemand pour seule langue ou presque et n’eut pas la moindre difficulté à apprendre à lire et à écrire dans cet idiome ; il possédait même- grâce à Hiên- un vocabulaire plus riche et plus choisi que nombre de ses camarades. Il lui fallut toutefois affronter un autre obstacle : quand il se voyait dans le miroir, il avait du mal à allier sa langue et son visage, reflet de l’embarras de ses semblables face à cette combinaison peu commune. »
Le deuxième thème transversal de ce conte est la transmission intergénérationnelle et l’acculturation. Comment faire cohabiter deux cultures ? Deux langues ? Deux mondes ? La question identitaire est centrale et traitée avec nuances.
Dans le passionnant Kukum, Michel Jean narre également cette question identitaire face à la dualité culturelle au Canada avec beaucoup de nuances. Découvrez la chronique ici.
La Mélodie familière de la boutique de Sung est un livre agréable et facile à lire. Les personnages sont attachants, et l’histoire familiale intéressante. Pour l’apprécier, il faut le lire comme un conte afin d’en évacuer la dimension irréaliste.
En effet, ce conte militant cherche à démontrer le bonheur qui découle de la belle idée de solidarité telle qu’elle était pensée dans les société communistes.
Malgré la note de 2/5, je vous invite à lire ce livre, ne serait-ce que pour la plume de Karin Kalisa. De plus, il apporte un optimisme contagieux au lecteur.
Je vous invite à regarder la bande annonce réalisée autour du livre de Karin Kalisa pour vous faire une idée de l’ambiance :
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