Un roman agréable et sensible
Inga Vesper explore avec succès les dessous du rêve américain dans ce roman très bien écrit. Ségrégation raciale et infériorité des femmes dans une société très patriarcale n’ont plus d’existence légale aux Etats-Unis en 1959. Pourtant Inga Vesper décrit à merveille le quotidien entravé des héroïnes Ruby et Joyce.
Lorsque Ruby entre chez Joyce pour faire le ménage, elle découvre les enfants livrées à elles-même. Elle ne voit pas tout de suite la marre de sang visqueux sur le linoléum de la cuisine dans lequel trempe un pyjama de nouveau-né. En découvrant ce qui semble être une scène de crime, Ruby devine que sa couleur de peau fait d’elle la coupable idéale. Elle est incarcérée le soir-même. L’inspecteur Mick, fraîchement nommé à LA, ne s’en laisse pas compter. Il tente de déjouer les jeux de dissimulation complexes pour faire aboutir son enquête.
Tout oppose a priori les deux personnages féminins principaux, Ruby, femme de ménage afro-américaine de South Central à Los Angeles, et Joyce, femme au foyer de la banlieue chic de Sunnylakes à Santa Monica. Pourtant, les deux héroines sont liées par un secret et par la même oppression.
Un long, si long après-midi peint à merveille une société des apparences dans laquelle l’individu peine à s’exprimer. Plus que tout, les conventions sociales les étouffent, quel que soit le milieu social et culturel.
« La plupart des femmes, ici, se marient en sortant de l’université. Elles deviennent femmes au foyer, elles élèvent leurs enfants et vont à l’église. Et voilà. Personne ne s’intéresse à leurs désirs ou à leurs rêves. Tout le monde se fiche de leurs talents et de leurs opinions. »
The desperate housewives
Les thèmes abordés – les faux semblants, les dessous du rêve américain, la condition féminine – ont déjà fait l’objet de nombreuses fictions, dont la très célèbre série télévisée Desperate Housewives. J’ai d’ailleurs eu l’impression de me promener dans ce décor de pelouses bien taillées.
« Il y a tant de couleurs différentes. Le vert du gazon de mai. Le rose saumon des tomettes du patio. La palissade blanche qui entoure la maison. Les géraniums pourpres dans leurs pots en terre cuite. Le ciel aux frontières troubles, comme mon esprit rendu brumeux par la fatigue. Le bleu de la piscine est si profond et vif que je voudrais y tomber, y couler et me dissoudre comme une aspirine. »
La description des états d’âme et sentiments des personnages sont particulièrement réussies. Face à l’adversité, chacun réagit à sa façon. Addictions, mensonges, lutte acharnée, résignation, militantisme… l’autrice explore un panel large. Inga Vesper ne porte aucun jugement. Elle laisse chacun se débattre avec ses démons. Les personnages dominants révèlent leurs faiblesses, tandis que les opprimés dissimulent des ressources insoupçonnées !
La lutte pour les droits civiques a bien avancé en 1959. La ségrégation est légalement abolie. Ruby, rêve d’aller à l’université. Au delà de la loi, les barrières sociales et mentales résistent. Ruby manque d’argent et personne ne croit en son rêve d’émancipation. Enfin, Ruby me semble inspirée de Rosa Parks.
« C’est pour ça qu’on doit continuer le combat. Ils disent que l’esclavage est terminé et que la ségrégation est en train de disparaître. Mais tu as eu une ambulance pour ta mère ? Tu vois des écoles mixtes ? Tu vois des noirs avec des cravates et des carrières, qui vont au bureau tous les jours ? Hein ? Tu vois tout ça ? »
Un roman militant et nuancé
Si le trait semble un peu forcé parfois, Un long, si long après-midi introduit les nuanges par des personnages secondaires bienvenus :
« C’est plus compliqué que ça. Une femme comme Deena ne peut pas gagner. La société lui dit qu’elle a besoin d’un homme pour être entière. Et si elle n’en trouve pas, elle est stigmatisée pour son échec. »
(p.365)
De plus, les personnages et l’histoire restent crédibles et passionnants jusqu’au dénouement final. J’ai aimé que chaque fil de l’histoire soit déroulé jusqu’à la fin. Ainsi, les pistes restent ouvertes jusqu’au rebondissement final.
« Tu crois que c’est si facile ? Tu crois que toutes les femmes devraient désirer être libres? Mais être libre, c’est sacrément difficile, Geneviève. »
(p.416)
Enfin, ce livre devrait être lu car il fait écho à de nombreuses formes de limitations involontaires qui existent encore aujourd’hui dans nos sociétés occidentales. Peur du regard des autres, image sociale renvoyée dès l’enfance que les femmes sont limitées dans leurs choix, image de la « bonne mère », ect…
« Depuis le moment où elle est née, on lui a répété qu’elle ne valait rien. Peut-être qu’elle n’imaginait pas qu’un homme puisse simplement rester à ses côtés, lui vouloir du bien. Elle voulait être certaine qu’il ne se lèverait pas pour partir, comme les autres. »
(p.366)
C’est une belle découverte que ce roman ! D’abord attirée par la couverture très 50’s, je me suis laissée séduire par l’histoire et les personnages attachants. Le regard croisé entre différents protagonistes, la description intime de leurs états d’âme.
Sans jugement, Inga Vesper retranscrit les contradictions de cette société américaine qui porte en étendard la liberté, alors que tant sont opprimés !
Enfin, ce roman reste très actuel. On peut faire de nombreux parallèles avec les limites mentales et le conditionnement social involontaire liés aux stéréotypes qui ont la vie dure.
Sur le même thème de l’émancipation des femmes, et ce qu’elle coûte, j’ai récemment chroniqué Insondable Yolanda de Carole Merlo, dont je vous recommande la lecture.
FRANCE | MAROC | ANNEES 50 ET 60
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