Un excellent livre récréatif, à l’écriture subtile
Un train, un wagon-couchettes, des passagers présents par choix ou par dépit, des histoires de vie qui se s’entrechoquent pour quelques heures, et la nuit mystérieuse et enveloppante… Paris-Briançon est pensé comme une expérience sociale et psychologique. Une unité de lieu et de temps comme au théâtre, et un événement dramatique qui solde les comptes.
« Ce qu’ils ignorent c’est qu’ils l’emporteront néanmoins avec eux, et qu’ils ne s’en débarraseront pas de sitôt. Abandonner le territoire de son effroi ne signifie pas s’en affranchir. »
P.315
Paris-Briançon, un roman prenant et incarné
Philippe Besson ménage le suspens par quelques indices distillés dès les premiers chapitres. On connait le lieu, on a la certitude du drame imminent, on connait tous les protagonistes, leurs aspirations et leurs secrets… Seule inconnue : le drame lui-même. De cette attente naît la tension et l’avidité de tourner les pages.
Philippe Besson opte pour l’écriture de ce roman au style indirect libre qu’il maîtrise parfaitement. Cela permet une lecture fluide – très peu entrecoupée de dialogues- et très fine. La pensée des personnages est ainsi énoncée par touches. Le rendu global est subtil et mâtiné de beaucoup d’humour.
Ce parti-pris rend les personnages attachants car le lecteur comprend leur point de vue, leurs sentiments et les événements de leur vie qui les sous-tendent. De ce point de vue également, Paris-Briançon est très réussi.
« Je ne sais pas si je sais. Je crois que je ne veux pas savoir.
P.187
L’aveu lui semble magnifique, parcequ’il est un aveu. Et terrible, parce qu’il raconte une lutte terrible. »
Paris-Briançon, ou la fragmentation du territoire
Le roman commence par une présentation méthodique de chaque personnage présent dans le wagon et par la distillation de quelques indices laissant entendre qu’un drame va se produire. Chaque chapitre est intéressant en soi, mais leur accumulation donne un aspect sériel au plan d’écriture. Cela crée une progression froide et chirurgicale. J’ai trouvé cela dommage car le style d’écriture de l’auteur est plutôt chaleureux et incarné par ailleurs.
Une fois le train parti, le lecteur assiste aux rencontres et échanges de circonstance. La présence dans la même cabine-couchettes d’un inconnu qu’on ne reverra jamais, et avec qui on ne se sent rien de commun, ainsi que la nuit feutrée encourage à la confidence.
Le vrai sujet du livre est à mon sens la mixité sociale et géographique, et la fragmentation de la société et du territoire français. Cet aspect est intéressant et traité en filigrane. Par ailleurs, j’ai apprécié les descriptions des paysages, des gares, et l’ambiance nostalgique de l’époque du règne du train corail.
La société actuelle est scrutée en comparaison à cet « avant » : avant le règne de l’internet, de la rentabilité, de l’immédiateté et de la transparence à tout prix.
« Epoque vulgaire, où plus rien n’est privé, où tout est spectacle, et surtout la souffrance, surtout la désolation, où la décence pèse si peu devant la prétendue « priorité à l’information », où le goût de l’immédiateté prive de tout discernement, où les dommages collatéraux constituent un détail dérisoire. »
P.278
Paris-Briançon propose une intrigue riche en développements personnels et économe en événements. Cette esthétique, doublée de l’utilisation massive du style indirect libre est une réussite. Elle plonge le lecteur dans la grande époque du train Corail, de l’aménagement du territoire français et de son désenclavement.
L’histoire est intéressante, l’écriture subtile et efficace à la fois. La psychologie des personnages est fouillée, et le lecteur ressent une tension en guettant le drame à chaque page. Il s’agit donc d’une lecture très agréable, sans être révolutionnaire. On en ressort pas bouleversé, transporté ou avec un changement de pensée.
Un excellent livre récréatif, à l’écriture de qualité !
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