Bouleversant et si poétique !
La petite fille de Monsieur Linh est un vrai coup de coeur ! L’écriture de Philippe Claudel est délicate et bourleversante. L’auteur choisit chaque mot avec soin, tenant compte à la fois de la réalité du récit, de l’imaginaire et des sentiments engendrés mais encore de la sonorité des phrases.
« Le vieil homme est debout à l’arrière d’un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme s’appelle Monsieur Linh. Il est seul à savoir qu’il s’appelle ainsi car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui. »
(p.1)
Ce petit livre à la taille et aux couleurs modestes m’est tombé dans les mains lors du salon du livre francophone de Saïgon. Il faisait partie de la sélection de la librairie Nam Phong, toujours riche de livres explorant les relations franco-vietnamiennes.
L’expérience de l’exil
Monsieur Linh est âgé. Lui, qui n’est jamais vraiment sorti de son village, risque l’exil pour sauver sa petite fille de la guerre qui ravage son pays, le Vietnam. Les parents du nouveau-né sont morts sous les bombes. Monsieur Linh embarque donc seul en direction de l’horizon.
« La tête de Monsieur Linh est grosse de trop de fatigues, de souffrances, de désillusions. Qu’est-ce donc que la vie humaine sinon un collier de blessures que l’on passe autour de son cou ? »
(p.168)
Philippe Claudel décrit à merveille, sans jamais les nommer, les souffrances de la solitude, de l’anomie et de la vieillesse. Le lecteur expérimente en même temps que le vieil homme la perte de repères, la peur de l’inconnu, la dépossession de soi, l’anonymisation.
« Il se rappelle alors qu’il est seul au monde, avec sa petite fille. Seuls à deux. Que son pays est loin. Que son pays, pour ainsi dire, n’est plus. »
(p.65)
Lorsque le vieil homme et l’enfant arrivent dans leur pays d’accueil, ils sont pris en charge par les services sociaux. Commence alors l’attente puisque l’on n’est plus maitre de son destin. En effet, Monsieur Linh n’est plus libre de faire ses propres choix car il n’a pas les moyens de subvenir à ses besoins. Cette mise en minorité – de fait et non légale – est d’une parfaite violence.
« Lentement, sans même s’en apercevoir, il glisse vers le sol. C’est comme une chute qui durerait une seconde ou bien une vie…
(p.168)
Heureusement, cette enfant est symbole d’espoir. Une amitié improbable naît également. Elle porte Monsieur Linh et convoque l’humanité dans ce magnifique livre.
La vieillesse comme horizon
La barrière de la langue est une violence de plus qui l’enferme. Incapable de communiquer, il n’a que sa tête pour s’évader. Il repense à sa vie, au pays qu’il a laissé derrière et qu’il ne reverra pas. Les odeurs, les goûts, les couleurs contrastent avec la vie en ville et dans le centre d’hébergement. Tout y est gris et monotone « sans odeur et sans saveur ».
La force de ce livre est de mêler les maux de l’exil à ceux de l’âge. Monsieur Linh arrive seul (adulte) et ne peut communiquer. Sa fragilité est encore renforcée par son âge. Si Monsieur Linh est traité avec douceur, Philippe Claudel montre bien que les égards faits aux aînés cachent de l’infantilisation involontaire.
Enfin, le rebondissement final, très inattendu, révèle toute la puissance de la narration. C’est un livre intense jusqu’aux dernières pages, et qui ne laisse pas le lecteur en sortir indemne.
J’ai absolument adoré ce livre car il apporte beaucoup à la littérature grâce à la qualité de l’écriture.
Les mots savamment choisis forment un texte sensible et délicat qui parle droit au coeur.
Enfin, La petite fille de Monsieur Linh est court et intense. Il parvient à aborder de nombreuses facettes de l’exil : anomie, solitude, dépossession de soi, humiliations… Il donne à réfléchir aux conséquences des migrations subies, à l’échelle individuelle, alors que les migrations sont pensées par l’administration et les medias en termes de flux et de collectif.
La puissance de la littérature est ici de redonner un visage aux anonymes de la migration forcée. Le même constat s’impose pour le livre Insondable Yolanda dans lequel Carole Merlo parvient à faire revivre les pensées, motivations et relations à partir de faits historiques et d’archives administratives.
La littérature comble dans un interstice laissé vide de toute humanité en faisant revivre les individus.
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