Insondable Yolanda, un roman élégant et recherché
La jeune Yolanda fuit la France et la réprobation familiale et sociale en juin 1955. Elle se réfugie à Casablanca car le Maroc représente « cette France lointaine » où les conventions sociales pèsent peu. Yolanda s’y installe durablement, y vit le passage à l’indépendance du pays. Quelques années plus tard, le destin la conduit en Libye. Au fil de sa vie, cette femme forte et déterminée sait saisir avec optimisme et enthousiame les opportunités qui s’offrent à elle, loin de la vie conventionnelle à laquelle elle était destinée. Pourtant, la vie n’est pas toujours ce qu’elle semble être et réserve à Yolanda un dénouement inattendu.
« La soir, lorsque Mathilde dort les points fermés, le couple contemple par la fenêtre de leur chambre, doucement caressé par la brise marine, les vagues qui se brisent bruyament sur les rochers. Yolanda et Christian s’embrassent au clair de lune et ressentent l’apaisement de ceux qui ont choisi leur vie. »
(p.358)
La grave légèreté de la vie coloniale
J’ai d’abord trouvé ce roman très bien documenté et très bien écrit. Carole Merlo a sans doute conduit des recherches étendues pour documenter la vie coloniale, aussi bien dans le quotidien que dans les faits historiques. Ce travail de documentation enrichit grandement le roman.
Il offre ainsi la possibilité de rafraîchir ses connaissances sur l’histoire coloniale du Maroc et de la France. J’ai également apprécié que tous les points de vue affleurent. Bien sûr, la narratrice est française. Son point de vue est donc prédominant, mais les motivations des mouvements indépendantistes sont également expliqués en détail.
Plus qu’une biographie de l’héroïne, c’est un portrait vibrant du Maroc dans années 1950 et 1960 que Carole Merlo crée dans Insondable Yolanda. Les descriptions de la Casablanca coloniale sont très vivantes. L’ambiance y est légère malgré le danger latent des attentats.
« Plus loin, elle flâne le long des immenses palmiers dattiers remplis du chant entêtant des oiseaux, admire les bougainvilliers dans lesquels butinent des nuées d’abeilles, essaye de trouver le nom des fleurs colorées qui s’étalent dans les parterres des jardins à la française. Elle s’arrête pour observer les hommes qui jouent aux cartes sous les auvents des cafés. »
(p.219)
J’ai beaucoup aimé les descriptions de la vie de Yolanda à Casablanca. Elle se crée un cercle d’amis, découvre avec des yeux curieux la ville coloniale et la ville indigène. Cette femme intelligente et observatrice permet au lecteur de découvrir à travers ses yeux ce qui fait le charme de l’époque : soirées dansantes, échos des dernières tendances de la mode parisienne, déplacement en trolley, douceur de la vie au soleil, et particularités locales comme courses de lévriers, ou les établissements huppés du bord de mer…
« Installée dans les gradins, Yolanda prend le temps d’admirer ce site exceptionnel, entouré de palmiers et d’eucalyptus. (…) le vélodrome a été construit en 1920 et on dit que son architecture rivalise avec celle des grands vélodromes du monde entier. (…) Yolanda regarde en direction de la piste et voit de magnifiques lévriers musclés et racés, de toutes les nuances de beige et de marron (…) Chaque animal porte une casaque de couleur bleue, rouge, jaune, verte comportant un numéro bien visible. (…) La foule est en liesse et les cris fusent de toute part, le gardien s’active dans les gradins pour prendre les paris de ces joueurs enragés. »
(p.179/180)
Pourtant, cette insouciance apparente est tempérée par la menace des attentats, et le spectre de l’indépendance. J’ai apprécié la description de ce mélange d’espoir et d’illusions qui se manisfeste par exemple dans la confiance infaillible que les colons plaçaient dans l’Etat français.
Enfin, le dénouement de l’histoire est totalement inattendu. Cela m’a beaucoup plu. Le roman est très bien pensé et conserve son mystère jusqu’à la fin !
J’ai aimé cette lecture que je recommande car elle peint à merveille l’ambiance parmi les colons sous le protectorat au Maroc. Le style de l’autrice est riche et précis ce qui apporte beaucoup d’épaisseur au roman. C’est un livre que je n’aurai pas lu s’il ne m’avait pas été généreusement proposé par l’autrice dans le cadre d’un service de presse, mais je suis absolument ravie de cette découverte et souhaite remercier Carole Merlo pour sa confiance.
Yolanda est un personnage libre à l’esprit indépendant. D’un tempérament combatif, elle manifeste son désir et sa joie de vivre même dans l’adversité. En cela, je la trouve représentative d’une période durant laquelle tout semblait possible, et l’histoire, individuelle et collective, encore à écrire.
Ce livre nous rappelle que rien n’est écrit à l’avance et que le monde tel qu’il est façonné aujourd’hui est le résultat de choix collectifs courageux.
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