Un témoignage riche et émouvant sur la migration
Un voyage sans retour raconte l’histoire émouvante des parents de l’auteure Habiba Arbane, contraints de quitter leur Kabylie natale pour subvenir aux besoins de leur famille. Ces fermiers, alors parents de 3 garçons, s’exilent à contre-coeur. Saïd part le premier avec les économies d’une vie en poche. Il embarque pour un voyage qu’il ne sait pas encore être sans retour. Baya, de son côté, l’attend et se démène avec la ferme et les enfants, espérant des nouvelles et des jours meilleurs.
Un témoignage rare
Ce livre est un témoignage indirect (retranscrit d’après la mémoire familiale par leur fille) du voyage migratoire effectué par Saïd vers la France dans les années 50. En effet, après la Seconde Guerre Mondiale, le gouvernement français fait appel aux travailleurs des colonies pour contribuer à l’effort de reconstruction du pays. Les Kabyles représentaient alors entre 50 et 60% des Algériens venus travailler en France. Pourtant, les témoignages personnels sur le sujet restent rares.
Habiba Arbane décrit avec beaucoup de tendresse des parents travailleurs, courageux et prêts à tous les sacrifices pour que leurs enfants s’assimilent à ceux qu’ils appellent « le peuple français ». J’ai trouvé ce témoignage extrêmement intéressant (n’oublions pas que je suis historienne de formation ) car il décrit finement les intentions de Saïd, les difficultés qu’il rencontre, les joies et les doutes liés à la migration – tous les détails qui rendent l’Histoire tangible et sensible.
Une vie entre deux mondes
Quand Baya et les enfants sont enfin autorisés à rejoindre Saïd à Lyon, ville dans laquelle il est installé depuis plusieurs années, c’est l’heure du dilemme. L’écartèlement permanent entre deux cultures, entre deux pays. L’incompréhension des deux côtés de la Méditerranée et l’impossibilité de trouver sa place, en France comme dans leur pays natal désormais.
« …ils étaient des immigrés en France et des immigrés en Algérie. Ils vivaient sur deux terres l’une était dans leur coeur et l’autre faisait partie intégrante de leur vie. »
p.52
Ce récit est précieux car il évoque toutes les facettes de l’exil. Les difficultés d’adaptation sont nombreuses : communiquer dans une langue inconnue, trouver des produits au supermarché, se créer un réseau social, suivre la scolarité des enfants, …
A l’inverse, ce récit montre que continuer à faire vivre sa propre culture s’oppose à cette assimilation tant désirée, mais est vital pour ne pas perdre son identité.
Un bémol sur la forme
Si le fond du récit m’a énormément plu, la forme m’a dérangée. L’emploi de l’imparfait, le style familier et les relances en fin de chapitre m’ont beaucoup gênée : « Mais seul le futur pourra parler et nous dire s’il [Saïd] a vraiment été accepté lui et sa femme par sa terre d’accueil. » (p.32)
De plus, j’ai trouvé que le récit devient maladroit lorsque Habiba Arbane évoque des faits plus généraux que l’histoire de ses parents, bien que les faits relatés soient souvent exacts.
J’ai vraiment apprécié cette courte lecture pour sa richesse. Ce témoignage démontre que la migration, même partiellement choisie, est un phénomène économique, social, politique, culturel et affectif complexe. La mémoire familiale est de ce point de vue précieuse car elle explique les choix de Saïd et Baya en fournissant des éléments de compréhension, tels que les représentations et les peurs, qui ne seraient pas accessibles autrement. La note de 3/5 tient essentiellement à la forme.
Au delà d’une page d’Histoire, il s’agit d’un moment émouvant de lecture et d’un beau témoignage d’amour de l’auteure envers ses parents.
Je tiens à remercie les Editions Le Lys Bleu pour la confiance renouvelée que l’équipe m’a accordée en me confiant la lecture de ce témoignage.
Sur le même thème, vous pouvez regarder le documentaire « Des figues en avril » réalisé par Nadir Dendouche. Dans ce documentaire, sa maman relate sa migration depuis la Kabylie dans les mêmes années que les parents d’Habiba Arbane.
=> Pour en visionner la bande annonce, cliquez ici.
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